Raphaël Pitti, fondateur de l’ONG HuSoMe (Humanité, Solidarité, Médecine), est un médecin anesthésiste-réanimateur et expert en médecine de guerre. De retour après une mission à la frontière ukrainienne dans les Carpates, et fortement impliqué à Gaza, il s’exprime avec force et conviction dans Le Grand Entretien sur RCF. Il revient aussi sur la polémique née de sa participation à l’émission Quelle époque !, et annonce un projet spirituel d’envergure pour août 2025 dans les Carpates ukrainiennes.
Une parole qui dérange, un témoignage qui interpelle
Invité par Léa Salamé dans l’émission Quelle époque !, Raphaël Pitti ne s’attendait pas à une telle résonance médiatique. Diffusée en seconde partie de soirée, l’émission a pourtant suscité un vif retentissement, amplifié par la réaction controversée de Thierry Ardisson comparant la situation à Gaza à Auschwitz. Face à cette polémique, Pitti est resté mesuré et a recentré le débat sur les réalités humanitaires qu’il observe sur le terrain.
Un territoire assiégé, affamé, bombardé
Les centres de soin d’HuSoMe, au nombre de cinq, tentent de répondre à l’urgence sanitaire : distribution d’eau potable, lutte contre la dénutrition infantile, prise en charge médicale de base. Mais face à l’ampleur de la crise, ces efforts peinent à contenir la catastrophe.
« Avant le 2 mars, 60 % des enfants étaient déjà au niveau 3 sur 5 de dénutrition. Le niveau 5, c’est la famine. »
Les équipes utilisent le périmètre brachial, une méthode éprouvée pour mesurer la gravité de la malnutrition. La situation est d’autant plus dramatique que le blocus total imposé par Israël prive la population d’eau, d’électricité, de nourriture, de médicaments.
Et alors que les espoirs d’un cessez-le-feu semblaient réels à l’occasion des échanges de prisonniers, l’armée israélienne a relancé les bombardements en pleine nuit, frappant des zones peuplées de civils réfugiés sous des tentes : 400 morts en quelques heures.
« Pourquoi ? Pourquoi bombarder alors que les otages étaient libérés ? Pourquoi affamer une population ? C’est là que j’ai dit : on ne peut plus éviter le mot. C’est un génocide. »
Le génocide, un mot lourd, mais justifié selon le droit international
Raphaël Pitti fonde son analyse sur le droit humanitaire international. Il rappelle que la Cour pénale internationale avait déjà demandé à Israël, en tant que puissance occupante, de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter un génocide.
« Ce qui différencie un massacre d’un génocide, c’est l’intention. Et là, elle est claire : Israël prend délibérément la décision d’affamer la population. »
Il insiste sur l’importance des mots. L’utilisation du terme génocide n’est pas une outrance émotionnelle, mais une qualification juridique issue de l’observation rigoureuse de la situation.
Des chiffres officiels sous-estimés
Les 54 000 morts recensés à Gaza sont probablement bien en deçà de la réalité. Ces chiffres sont basés sur les passages à l’hôpital, seul lieu où les décès peuvent être enregistrés administrativement.
« Il n’y a pas de mairie, pas d’état civil. Les familles passent par les hôpitaux pour obtenir un certificat de décès. »
Mais qu’en est-il de ceux ensevelis sous les décombres, des disparus jamais retrouvés, ou des patients morts faute de traitement pour des maladies chroniques ? Diabétiques, insuffisants cardiaques, dialysés : ils sont des milliers à ne pas survivre à l’effondrement du système de santé.
« Il y a les morts directs : drones, snipers, bombardements. Et les morts indirects, qu’on oublie trop souvent. »
Le poids des mots, le silence des puissances
Le passage télévisé de Raphaël Pitti a suscité une onde de choc, notamment à cause des propos de Thierry Ardisson sur Auschwitz. Mais selon Pitti, le vrai scandale, c’est l’inaction des gouvernements occidentaux.
« Les États-Unis mettent leur veto à des résolutions humanitaires. L’Europe finance toujours la Russie via le gaz. La France condamne… mais ne fait rien. »
Il regrette un affaissement moral généralisé. Il reprend les mots de la philosophe Hannah Arendt :
« Dès que l’empathie disparaît, c’est la fin de l’humanité. »
Dans un contexte où des responsables israéliens tiennent des propos radicaux — allant jusqu’à parler de tuer tous les enfants de Gaza sous prétexte qu’ils deviendront des terroristes —, Pitti dénonce l’absence totale de compassion.
« C’est une faillite morale. Où est passée la religion de la justice, de l’amour, de la compassion ? »
Une foi engagée, un espoir dans la jeunesse
Au-delà de l’urgence humanitaire, Raphaël Pitti est un homme de foi. Catholique pratiquant, il mène également des actions spirituelles en Ukraine. Lors de son dernier séjour, il a organisé une semaine de retraite dans un monastère orthodoxe des Carpates, sur le modèle de Taizé.
« Nous avons prié, réfléchi, échangé autour de thèmes comme la démocratie, la liberté, la justice, la spiritualité. Des jeunes Ukrainiens y ont participé. »
L’initiative se renouvellera en août 2025, et il appelle des jeunes Français à se joindre à cette rencontre pour bâtir des ponts entre les peuples.
L’Ukraine : une guerre d’usure, une urgence silencieuse
Raphaël Pitti n’en oublie pas pour autant la guerre en Ukraine, où HuSoMe forme depuis 3 ans soignants et chirurgiens à la médecine de guerre.
« Plus de 7 700 soignants ukrainiens ont été formés, dont 450 chirurgiens. Nous intervenons près de Kharkiv, à Lviv, et sur la ligne de front. »
La situation y est tout aussi éprouvante : guerre statique, bombardements constants, stress post-traumatique, usage de drogues… La guerre se prolonge, sans perspectives claires de paix. Il fustige l’attentisme occidental et appelle à un sursaut.
Une parole libre malgré les menaces
Depuis son intervention médiatisée, Raphaël Pitti est la cible de nombreuses attaques, y compris de menaces de mort. Mais il refuse de se taire.
« Je suis un médecin humanitaire. Mon devoir est de soigner, et de témoigner. Je ne soutiens ni le Hamas, ni aucune force armée. Je parle au nom du droit humanitaire international. »
Il insiste : Médecins sans Frontières, Médecins du Monde, et d’autres ONG disent la même chose que lui. S’il est plus entendu, c’est parce que les projecteurs se sont braqués sur lui.
Un appel à l’action
À l’antenne de RCF, il en appelle à la jeunesse du 21e siècle, qu’il estime plus apte à construire un monde nouveau. Il condamne l’hypocrisie des dirigeants, notamment européens, et appelle à des mesures concrètes :
- Suspension du contrat de partenariat UE-Israël pour non-respect des droits de l’homme.
- Reconnaissance de l’État palestinien.
- Ultimatum humanitaire : 72h pour rouvrir les corridors à Gaza, sous peine de sanctions.
« Que ton oui soit oui, que ton non soit non. Mais cette hypocrisie est insupportable. »
Conclusion : entre indignation et espérance
Raphaël Pitti incarne un humanisme engagé, lucide mais porteur d’espoir. Son double ancrage — terrain humanitaire et spiritualité — lui permet de porter un message puissant. En appelant à la jeunesse, à l’Europe, à la foi active, il rappelle que même dans l’obscurité des conflits, il reste des voix pour éclairer l’avenir.
